J’aime les mots; les enchaîner, les raconter, les révéler, les faire jaillir pour qu’ils surprennent la personne qui les lit. Enfant, je m’amusais déjà à écrire de petites histoires. Le milieu où j'ai grandi est un flot d’inspiration ! Je personnifiais les légumes du jardin, leur faisant vivre de folles aventures qui se terminaient bien souvent par l’inéluctable passage sur la planche à découper, puis dans la soupe… J’inventais des monstres dans la forêt qui entoure notre maison d’enfance, de quoi me faire peur lorsqu’on entreprend une randonnée en raquettes le soir, dans le lourd gris et sombre de l’hiver.
L’écriture est ce qui a toujours été le plus évident pour moi. Je pense qu’au fond, j’ai toujours compris que ça allait faire partie de ma vie. Quand j’ai débuté l’écriture de mon roman Le Triskell du temps, je n’avais pas l’idée de le publier un jour. En mettant le point final, ma famille, même si elle n’avait pas encore lu un seul mot du manuscrit, m’a tout de suite encouragé à prendre contact avec une maison d’édition. Je ne me lancerai pas dans l’explication de l’édition (bien qu’il s’agit d’un processus passionnant !), mais si ça en intéresse certains, ça me fera plaisir de partager mon expérience dans ce milieu.
Le Triskell du temps, ça raconte une tranche de la vie de Henry, un jeune historien qui travaille pour le British Museum, à Londres. Suite au décès de son père, il rentre au manoir familial où il trouvera le journal de son ancêtre, Abigaël, qui a vécu au début du XVIIIe siècle. À cette époque, le Royaume-Uni est bouleversé sur tous les plans, des opinions politiques divergentes aux chocs des cultures… L’Angleterre et l’Écosse entrent dans un nouveau siècle d’oppositions et c’est à travers des voyages dans le temps qu’Henry, riche de ses connaissances historiques, sera amené à changer le cours de l’Histoire avec l'aide de son ancêtre.
Cette histoire me trottait dans la tête depuis le secondaire 2, à la suite d’un voyage avec ma famille, à Londres. J’ai été charmée par cette ville immense née sous un jour de l’époque romaine. J’ai commencé à me renseigner sur elle, plus généralement sur l’Angleterre, puis mon intérêt s’est étendu vers l’Écosse, la France, un bref passage par l’Espagne. La culture et le folklore du Nord m’ont beaucoup interpellée, peut-être en raison de l’authenticité des peuples qui transparaît dans les différents contes. Ce sont des pays où on respire un mode de vie au jour le jour, une saison à la fois.
Moi-même, j’ai été marquée par un vécu au fil des saisons. En habitant sur une ferme, dans une famille d'agriculteurs, on les vit ces changements-là; le brûlant de l’été, l’humidité de l’automne, le glacial de l’hiver, le dégel du printemps.
Dans le rang, on peut perdre nos yeux sur une montagne
emporter le vent dans nos cheveux
observer les formes des branches
couper à travers champs
trouver que les rides d’un visage ressemblent à des racines
rôder dans le blanc ouaté des brumes du Saint-Laurent
écouter la parole des récoltes
expérimenter l’odeur rugueuse de la cueillette des champignons
briser l’insensibilité du ruisseau.
Du concret, c’est ce qu’on fait en réalisant les tâches quotidiennes de la ferme. Mettre des mots sur ça, ça peut sembler non-littéraire, trop pratico-pratique. Pourtant, c’est tout ce tangible qui permet de créer des images fortes, toutes en sensibilité. Je cherche à transposer mon ressenti dans mes textes, toujours selon ce que j’ai pu observer ou ce que j’observe maintenant !
Bref, l’écriture trouve sa place partout, même (surtout !) dans le fond d’un rang. On peut avoir l’air rêveur, maladroit, un peu distrait quand on se confronte à un milieu aussi concret, mais si c’est pour laisser aux autres une représentation qu’on se fait du monde qui nous entoure, je trouve que ça prend tout son sens. Même si ça peut faire peur, être engageant, c’est important de communiquer son regard, parce que c’est la première porte à emprunter pour entrecroiser le terre-à-terre à l’aérien saisissant des mots.
Florence Trigaux, auteure du Triskell du Temps
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